La théorie des singes au travail –
Ou comment des primates nous font perdre notre temps

Avez-vous déjà entendu parler de la théorie des singes ? Non, pas cette théorie obscure sur l’évolution d’un certain Charles Darwin… Celle, très simple à comprendre, qui est liée à l’imputabilité en milieu de travail ?

Normalement, dans une entreprise avec une structure hiérarchique conventionnelle, il y a un patron et des employés. Dans une organisation collaborative, cela est différent, et j’y reviendrai possiblement dans un autre article. Mais concentrons-nous aujourd’hui sur nos primates…

Dans la plupart des entreprises, donc, les employés sont au service d’un patron qui leur confie des tâches. Grosso modo, c’est le topo !

Au quotidien, des problèmes, des questions et des interactions surviennent avec les employés. C’est dans ces communications que la théorie des singes se manifeste subtilement et souvent sans que personne s’en rende même compte.

Échanger les singes (et les responsabilités!)

Laissez-moi vous donner un exemple.

Un employé qui supervise la production dans votre usine constate un problème de performance sur une machine très importante. Ce problème ne cause pas d’arrêts de service, mais ralentit la production et engendre donc des coûts supplémentaires. L’employé vient vous voir pour vous exposer la situation. Normal, quoi! Par contre, vous constatez vite que votre collaborateur est complètement dépassé par les événements et compte sur vous pour l’aider dans la résolution de son problème.

Comme si un petit chimpanzé gigotait continuellement sur son épaule, réclamant son attention, votre employé porte le poids du problème. Sa productivité est diminuée par cet envahissant macaque, qui le dérange, lui gruge de l’énergie et lui fait perdre un temps précieux.

En constatant que votre employé a besoin de vous, vous le rassurez en lui disant que vous prendrez quelques minutes pour aller observer le problème dans l’usine cette semaine et que vous lui reviendrez rapidement avec des pistes de solutions.

Boing ! Avez-vous vu le petit singe sauter ? Oui, il se trouve maintenant sur votre dos ! Vous sentez ses ongles vous chatouiller ? Sans que vous l’ayez attiré avec des arachides, il est maintenant bien assis sur vos deltoïdes. Le singe se trouve maintenant sous votre garde. En d’autres mots, le problème est maintenant sous votre responsabilité.

Votre collaborateur s’attend maintenant à ce que vous trouviez des solutions à son problème. Si vous êtes comme la majorité des propriétaires d’entreprise et que vous êtes débordé (parce que vous ramassez les singes de tout le monde et que votre dos est devenu une véritable jungle), vous n’avez sûrement pas le temps de traiter cette demande et vous allez la reporter aux calendes grecques ou la déposer dans le bas de votre pile de dossiers.

Puis, pendant la semaine, quand vous croiserez votre employé dans le corridor, il vous apostrophera : « Et puis, quelle est la solution ? » Si vous n’avez pas eu le temps de vous occuper du singe, votre employé ressentira de la frustration, de l’impatience, de la déception… Vous comprenez le principe.

Alors maintenant, je vous pose la question. Qui est au service de qui ?

Les problèmes de la garde partagée

Des singes passent d’une omoplate à l’autre plusieurs fois par semaine et rares sont les employés et les patrons qui en sont témoins.

Parfois, avec du recul, la passation du singe apparait très claire, comme dans mon exemple précédent. Parfois, l’échange de primates s’avère plus subtil.

Deuxième exemple.

Au cours d’une réunion, deux de vos collaborateurs sont mandatés pour effectuer une tâche. Avant de quitter la salle, vous leur dites : « Si vous avez besoin d’un coup de main, je suis disponible ! » Qui le singe chatouille-t-il présentement? Le dos de vos employés ou le vôtre ?

En vérité, le pauvre est maintenant tout écartillé entre vous trois, ce qui rend la situation floue et peut causer des problèmes d’imputabilité. « Oui, mais vous nous aviez dit que vous étiez là pour nous aider ! » pourront plaider les employés pour leur défense.

Le plus souvent possible, évitez donc la garde partagée et éliminez le flou !

La famille ou les singes?

Au cours d’une semaine, les gestionnaires obtiennent la garde de dizaines de singes de leurs collaborateurs et deviennent envahis par tous ces intrus poilus qui réclament leurs bons soins.

À 15 h un vendredi, un gestionnaire, qui a accumulé les singes, constatera qu’il n’a pas eu le temps de finir plusieurs de ses tâches cruciales et qu’il y aura des conséquences sur sa performance la semaine suivante. Son propre patron sera probablement mécontent de son travail. Il annulera alors son weekend de camping en famille, ce qui causera bien des babounes à la maison, et il travaillera pendant ses jours de congé afin de rattraper le temps perdu. Ou, pire encore, il se mettra la tête dans le sable et décidera d’apporter du travail à la maison. Il négligera soit sa famille, soit son travail ou fort probablement les deux! Pendant ce temps-là, ses collaborateurs auront l’esprit tranquille, sur le bord de la piscine, avec leur famille. Tout ça, à cause d’une famille de singes !

Qui est au service de qui ?

Si tout le monde s’occupait de son propre singe et qu’aucun gestionnaire n’accueillait les singes des autres, tout le monde aurait du temps pour accomplir son travail au bureau, serait imputable de son travail et, surtout, passerait un excellent weekend !

Ma relation avec les primates

À titre de PDG de plusieurs entreprises et étant entouré de multiples collaborateurs qui gèrent les activités quotidiennes, il m’arrive régulièrement de devoir gérer des « singes ».

Au début, je répétais les mêmes erreurs que les gestionnaires de mes exemples précédents, mais j’ai réalisé que j’étais devenu l’esclave de toute une communauté de chimpanzés. Les rôles s’étaient inversés : j’étais devenu au service de mes collaborateurs.

Le rôle du supérieur est d’aider, d’accompagner, de diriger, de conseiller et de guider ses collaborateurs. À la blague, je dis souvent que le rôle du gestionnaire est de nourrir les singes des autres, non pas de les adopter. Nous devons aider nos employés en posant des questions et en « challengeant » leurs idées, mais il ne faut surtout pas prendre la tâche ou le problème sur son bureau.

Mon coach d’affaires me dit souvent que mon rôle est d’arroser mes collaborateurs afin de les faire grandir. Comme une plante. Si on désire qu’elle pousse et qu’elle fleurisse, il faut l’arroser, l’entretenir. Aider vos collaborateurs à grandir, c’est accepter de ne pas tout faire à leur place !

La clé : déléguez !

Si vous possédez une entreprise et que vous déléguez certaines tâches, vous devez comprendre le principe de l’imputabilité. Lorsque vous réussissez à bien déléguer, vos collaborateurs deviennent responsables du succès et de l’échec des tâches qui leur sont assignées.

En contrepartie, la théorie des singes cause un problème d’imputabilité, car elle place le gestionnaire dans l’équation et offre à l’employé une excuse en or en cas d’échec.

Par exemple, un collaborateur qui doit réaliser une stratégie de pénétration de marché vient vous voir pour que vous répondiez à plusieurs de ses questions. Pour faire vite, vous lui dites de vous envoyer le document par courriel, afin que vous y ajoutiez vos commentaires. Primo, le singe est rendu sur vos épaules. Deuxio, une fois que votre collaborateur aura lu vos notes et modifié sa stratégie en fonction de ceux-ci, est-ce qu’il sera imputable pour ce travail ? La réponse est non. En cas de succès, il pourra certes s’approprier une partie de la gloire. En cas d’échec, par contre, votre employé pourra se défendre en disant que c’était VOS idées.

Si vous déléguez, vous donnez le plein pouvoir à vos collaborateurs et vous les rendez plus imputables de leurs succès et de leurs échecs.

Si vous aimez tant les singes, allez donc au zoo. Ces petites bêtes sont si mignonnes, derrière une grille…

Hugo Dubé

hugoencavale.ca